
Au
temps des Ligures
Au sujet de cette période, J.A. Aubenas écrit
:
Le nom de Forum
Julii (successivement devenu Fréjuls et Fréjus) se trouve
mentionné par d'assez nombreux textes de l'antiquité latine
et grecque. L'antiquité, toutefois, est restée muette en
ce qui regarde la fondation, les commencements précis de Fréjus.
Les historiens locaux, pour ajouter à l'ancienneté de leur
ville, se sont plus à lui attribuer une origine phocéenne.
Girardin, après Antelmi, invoque à cet égard une
tradition nationale.
"La
ville de Fréjus, dit-il, est une colonie des Phocéens
établis à Marseille ; notre tradition nous l'apprend ,
Strabon, lui-même, insinue le fait".
Le grand géographe
du monde romain ne dit et n'indique rien de pareil. Voici comment s'exprime
l'exact et scrupuleux géographe grec ...
"La
côte, qui s'étend depuis Massalia (Marseille) jusqu'au
Var, et la Ligurie attenante à ce fleuve, est bordée de
villes massaliotes, telles Tauroentum (Toulon), Olbia
(Hyères), Antipolis (Antibes) et Nicae (Nice) ; on y trouve,
de plus, le port d'Auguste, situé entre Olbia et Antipolis,
et à six cent stades (vingt lieues) de Massalia ; on le
nomme Forum Julii"
C'est donc par une
erreur évidente de lecture, et par un altération assurément
involontaire du véritable texte, que le traducteur a compris Fréjus
dans la nomenclature des villes du littoral, dont Strabon attribue la
fondation à Marseille. Dans l'auteur grec, cette revue se termine
à Nice, et, c'est en se reprenant, pour suivre un autre ordre d'idées,
qu'il parle de Forum Julii... On n'en saurait douter si l'on rapproche
de ce passage les lignes suivantes du même écrivain, qui
n'ont point encore été citées :
"Les
Massaliotes avaient employé leurs forces militaires à
fonder un certain nombre de places destinées à leur servir
de boulevards contre les Barbares : les unes, situées sur la
frontière d'Ibérie, devaient les couvrir contre les incursions
des Ibères ; les autres, telles que Rhodanusia et Agathé,
devaient les défendre contre les Barbares du bord du Rhône
; d'autres enfin, à savoir Tauroentum, Olbia, Antipolis
et Nicae, devaient arrêter les Salyens et les Ligures des
Alpes."
On voit donc que
Forum Julii ne figure pas davantage dans cette nouvelle énumération
des colonies fondées par les anciens Marseillais, entre le Rhône
et le Var, énumération de tout point conforme à la
précédente, et par le nombre des citées dénommées,
et par l'ordre dans lequel leurs noms sont disposés ; c'est
là un supplément de preuve à l'encontre de cette
origine phocéenne qu'on a voulu donner à Fréjus,
Mais l'opinion la plus accréditée est celle qui rapporte
à Jules César la fondation de cette ville, ou du moins sa
construction romaine équivalant à une création. C'est
encore une tradition et non un fait historiquement prouvé. Le seul
argument invoqué consiste dans le nom même de Forum Julii
(le Forum ou le Marché de Jules ).
Que dire donc de Fréjus, pour les temps antérieurs ? S'il
n'est pas possible, historiquement parlant, de lui attribuer une origine
grecque, ne peut-on, au début, en faire une cité, ou plutôt
une bourgade, un oppidum celto-ligure, semblable à tant d'autres
répandus sur la côte ? Évidemment rien ne s'y oppose
: une position facile à défendre, le voisinage de la mer,un
territoire exceptionnellement fertile, tout, au contraire, autorise à
penser que sur ce point de la Provence si bien choisi, a pu, a dû
exister un établissement qui servait de demeure et de refuge à
une population vivant à la fois des fruits de le terre, des produits
de la pêche et des profits de la piraterie ; établissement
adopté plus
tard, agrandi et fortifié par les Romains. L'antiquité ne
nous apprend rien à cet égard ; en revanche, elle nous a
transmis de précieux renseignements sur les peupades qui habiiaient
la partie de la Ligurie où se trouve Fréjus...
Il y a tout lieu
de croire, qu'une bonne partie du diocèse actuel de Fréjus,
comme cette ville-même, appartenaient à la grande tribu celto-ligure
des Oxubiens, ou mieux Oxybiëns...
La population primitive de Fréjus était donc ligure
,ou, pour parler plus exactement, celto-ligure, le nom de Celto-Ligurie
ayant prévalu, en Gaule, sur la gauche du Rhône, comme celui
d'Ibéro-Ligurie à droite de ce fleuve : la Ligurie propre
commençait au-delà des Alpes et faisait partie de l'Italie...
!
La question de l'étendue et de la délimitation du territoire
des Oxybiens serait grandement éclaircie par la connaissance
de la position de leur ville ; maritime, vraisemblablement leur capitale,
cette Egytna, dont Polybe seul : nous a transmis le souvenir, à
propos de la première expédition sérieuse des Romains
dans la Gaule transalpine. L'emplacement de cette cité ligure,
entièrement disparue, a donné lieu à de longues discussions
et à des systèmes nombreux. Une étude attentive ferait
placer avec une certaine confiance Egytna à Agay, situé
à une douzaine de kilomètres au sud-est de Fréjus.
D'abord bien accueillis sur nos côtes, les Phocéens/Marseillais,
nouveaux venus, ambitieux et avides, n'avaient pas tardé à
se brouiller avec leurs voisins. Alliés de Rome de très
bonne heure, l'ayant puissamment aidée sur la mer, dans sa grande
rivalité avec Carthage, ils avaient pu, grâce à cette
alliance, non seulement se faire craindre, mais encore fonder, le long
du rivage, les colonies, les comptoirs dont parlait Strabon. De pareils
établissements assuraient les possessions des Marseillais, leur
commerce et leur navigation contre
les efforts des Barbares (les Barbares c'était nous).
Naturellement, la population celto-ligure voyait d'un mauvais oeil les
progrès de ces étrangers sur son territoire. Elle les haïssait
surtout de leur connivence avec une nation qui venait d'écraser
sans pitié ses frères d'au-delà du Var. Les Transalpins
les plus rapprochés de ce fleuve prirent enfin les armes, bien
décidés à chasser les colons massaliotes de leurs
fortes places d'Antibes et de Nice,..C'est ici que commence le récit
de Polybe, l'an 155 avJC.
"Vers cette époque, dit-il, arriva
une ambassade de la part des Massaliotes que les Ligures inquiétaient
depuis longtemps : ces peuplades les mettaient alors dans une grande
extrémité, car elles tenaient assiégées
Antibes et Nice, colonies de Massalie. Le Sénat décida
d'envoyer des commissaires pour examiner l'état de ces contrées,
et aussi pour réparer sans recourir aux armes, s'il était
possible, les maux qu'avaient faits les Barbares.
Le Sénat avait désigné pour cette députation
Flaminius P.Laenas et L.Pupius. Ceux-ci, navigant avec
les envoyés de Marseille, abordèrent à la ville
d'Egytna, dans le territoire des Oxybiens. Mais les Ligures,
ayant appris que ces Romains venaient leur ordonner de lever le siège
des deux villes, accoururent pour s'opposer à leur débarquement,
Ils trouvèrent Flaminius déjà à terre
avec ses bagages, et le sommèrent tout d'abord de quitter leur
pays ; puis, sur son refus d'obéir, ils se mirent à piller
ses effets, repoussèrent violemment et maltraitèrent fort
les esclaves et les valets qui voulurent empêcher ce pillage,
blessèrent Flaminius lui-même défendant ses
gens, tuèrent deux de ses esclaves, et refoulèrent les
autres Romains sur leur navire. Flaminius, coupant les câbles,
se sauva à grand peine. On le conduisit à Marseille, où
les soins les plus grands lui furent prodigués.
Le Sénat, informé de ces événements, ordonna
aussitôt à Q. Opinius, l'un des consuls, de partir
avec une armée, pour combattre les Décéates et
les Oxybiens... Ayant placé son camp le long du fleuve Apron
(?), il attendit les ennemis, qu'il savait réunis et tout prêts
à combattre. Bientôt, il mena ses forces contre Egytna,
où avaient été insultés les députés
du peuple romain, pris cette ville d'assaut, réduisit les habitants
en esclavage, et envoya à Rome, chargés de chaînes,
les auteurs de l'injure. Cela fait, il marcha contre les ennemis...Mais,
vaincus dans ce combat, ils ne tardent pas à se soumettre, eux
et leur cité, à la loi du vainqueur"
Bien des opinions
ont été émises sur cette Egytna dont la position,
fixée avec certitude, permettrait de préciser celle des
Ligures-Oxybiens : " ...Golfe-Juan ... Cannes.,.l'anse de Théoule...
La Napoule...Agay..."
Une première
observation à faire, à cette époque de la barbarie
celto-ligure, et bien antérieurement aux grands travaux publics
exécutés par les Romains sur nos côtes, c'est qu'il
ne saurait être question, lorsque l'on parle du port Oxybien, d'une
oeuvre artificielle, d'un établissement maritime savamment disposé,
tel qu'on vit, plus tard, le port de Narbonne et celui de Fréjus.
Egytna était donc un port naturel, n'ayant néccessité
aucun de ces travaux d'art qu'un peuple aussi primitif eût été
dans l'impuissance d'exécuter...
Or, qu'on jette les
yeux sur la carte, et surtout, qu'on étudie par soi-même
les différentes échancrures du littoral, de Fréjus
au Golfe-Juan, point le plus éloigné qui ait été
proposé, et l'on se conviendra qu'aucune localité, en dehors
d'Agay ne réunit les conditions d'un véritable port naturel.
La rade du Golfe-Juan, quoique sûre, est trop vaste ; les anses
de Cannes et de La Napoule sont trop ouvertes et la crique de Théoule,
bordée, d'ailleurs,de rochers inaccessibles, est complètement
insuffisante. Seule, la rade d'Agay, s'enfonçant bien plus avant
dans les terres, offrait des avantages d'étendue, de profondeur
et d'abri, qui durent la faire choisir pour son établissment maritime,
par la population primitive de la contrée : l'embouchure d'une
rivière servait encore de prolongement à ce port, au débouché
d'une vallée étroite, présentant néanmoins,
à droite et à gauche,assez d'assiette pour une ville telle
que devaient être les cités ligures.
Si Egytna est Agay, placé à l'extrémité
méridionale de la chaîne de l'Estérel, il semble difficile
de ne point admettre que cette chaîne, au moins dans la partie voisine
de la mer, appartenait aux Oxybiens ; et comme Fréjus est
en quelque sort situé au revers occidental de la montagne, on peut
en conclure que cette ville étai comprise dans leur territoire.
Trente années s'écoulèrent avant que les Romains
reparussent dans la Gaule. Ayant ainsi planté, sur son extrême
rivage, ce premier jalon de leur marche envahissante, ils pouvaient attendre.
Lorsque, libre de ses mouvements, Rome voulut reprendre son oeuvre, ce
furent encore les Marseillais qui lui en fournirent le motif ou le prétexte.
Une nouvelle et opportune ambassade vint implorer le secours du Sénat,
contre les Ligures-Salyens, leurs plus proches voisins, qui les harcelaient,
disaient-ils, sans relâche, jaloux qu'ils étaient de cette
prospérité que Massalia devait , au peuole romain".
Le consul F, Flaccus reçut l'ordre de se rendre en Gaule
avec une armée. Il arriva dans notre Provence vers le mois d'octobre
de l'année 126 avJC. Le consul n'obtint pas de grands succès
: en deux campagnes, il ne put qu'imparfaitement réduire, en 125
avJC l'une des principales nations de l'intérieur il est vrai,
( celle des Ligures-Vocontiens).
Son successeur, Sextius,
se montra général plus habile. Il s'attaqua aux Salyens,
dont Marseille se plaignait surtout ; en 124 avJC, il les défit
entièrement, et battit une seconde fois les Vocontiens,
qui sans doute, malgré leur première défaite, avaient
pris parti pour la population salyenne.
L'histoire ajoute qu'après avoir écrasé les tribus
de la basse Provence, Sextius fit vendre à l'encan les habitants
des villes ; ensuite, promenant ses légions le long du littoral,
entre le Rhône et le Var, il balaya la population dans les montagnes
de l'intérieur, en lui défendant d'approcher à plus
de quinze cents pas des lieux de débarquement, et à plus
de mille pas du reste de la côte. Tel fut, on doit le croire, le
sort de la population primitive de Fréjus, et l'on peut voir, à
la distance voulue, sur le sommet de la montagne d'Auriasque [NDLR : voir
ci après], une vaste et double circonvallation de murs très
épais, en pierres sèches, qui offrent tous les caractères
d'une véritable construction, d'un oppidum celto-ligure."(1)
(1)- J-A Aubenas
"Histoire de Fréjus" Chap 1
ICONE : L'Auriasque, photo origine inconnue
|