

En
1978, avec les documents dont il disposait à cette époque, Marcel
FOUCOU écrivait un résumé de cette catastrophe :
"Malpasset, une tragédie déja entrée
dans l'histoire" 
En
2003, graçe aux études complémentaires publiées au
cours des 25 dernières années, Vito VALENTI et Alfred BERTINI
reprenaient le sujet, qui devait être édité la même
année par la "Société d'histoire de Fréjus
et de sa région" sous le titre :
"Barrage de Malpasset, de sa conception à sa rupture"

Les textes qui suivent ont été
extraits du livre de M. Foucou qui, dans le préambule de son ouvrage, déclarait
:
Quelques
jours après ce 2 décembre 1959, les Conseillers généraux
du Var, les élus de cette région meurtrie s'écriaient :
Non, nous ne
sommes ni des accusateurs ni des juges. Nous n'avons pas non plus à être
des avocats. Nous n'accusons personne. Mais nous sommes des hommes bouleversés
par l'ampleur de la catastrophe imprévisible qui a semé la mort,
alors que nous avions voulu, nous, faire une oeuvre de vie
De nombreuses années se sont écoulées... Fréjusien,
témoin traumatisé, comme tous mes concitoyens, je pense que le moment
est venu d'essayer de définir les causes de la rupture. Les grands événements
historiques ne peuvent se juger qu'avec le recul indispensable.
Après avoir longuement étudié : archives officielles, études
scientifiques, rapports traitant de la question, j'ai pensé être
en mesure d'écrire cette plaquette sur les causes probables de l'éclatement
de la digue de Malpasset. Je souhaite avoir traduit exactement la pensée
de ceux qui se sont penchés sur ce problème capital.
Je dédie mon modeste travail au souvenir de mes nombreux amis, victimes
innocentes de la tragédie du siècle.
Cliquez
sur le sujet qui vous intéresse :
1- Pourquoi
et comment avait-on décidé la construction du barrage. 2-
Le Reyran. 3-
Étude, construction. 4- Études
géologiques au cours de la réalisation de l'ouvrage. 5-
Le principe du barrage en voûte. 6- Caractéristiques.
7- Implantation de l'ouvrage. 8- Construction
du barrage. 9- Coût de l'ouvrage et financement.
10- Naissance du
lac. 11-
Le commencement
de la fin : premières alertes. 12-
Tentatives
d'explication de la rupture du barrage de Malpasset. 13- Bilan
d'une catastrophe.
1
- POURQUOI et COMMENT AVAIT-ON DÉCIDÉ la
CONSTRUCTION du BARRAGE. À
la fin de la guerre 1939-45, le Var meurtri par la guerre et par les occupations
allemandes et italiennes, devait à la fois reconstruire et s'équiper
pour son avenir.
Au premier rang des soucis du Conseil général du département
du Var, parmi tous les problèmes qui se présentent, il en est un
qui va bénéficier de toutes les priorités: l'équipement
hydraulique. Il domine toute la vie varoise du fait de ses conséquences
humaines et économiques.
Discuté depuis plus d'un siècle, il présente un intérêt
vital dans un département souffrant dans son ensemble, et notamment en
été, du manque d'eau. Cette pénurie va d'ailleurs en s'accentuant
chaque année, en fonction de la poussée démographique et
des besoins considérables consécutifs à l'afflux saisonnier
des touristes.
Il faut aller vite. Tout retard risque d'hypothéquer lourdement, voire
définitivement notre région.
Les élus départementaux savent que l'équipement suffisant
du Var va déterminer son avenir sur tous les plans : humain, industriel,
agricole, touristique.
On n'aurait pas pardonné aux responsables départementaux de ne pas
répondre à ces impératifs, alors que les municipalités,
dont les possibilités locales étaient réduites, cherchaient
par tous leurs faibles moyens à mettre en uvre, immédiatement
une politique courageuse de l'eau.
Dès 1946, le Conseil général demandait à l'administration
de coordonner toutes les études qui avaient été faites et
de lui soumettre un projet d'ensemble susceptible de résoudre définitivement
ce problème vital.
Les besoins les plus importants se situaient dans le sud du département,
notamment sur le littoral entre le Trayas et Ramatuelle. Région en plein
développement touristique et, en même temps, la plus apte à
utiliser l'eau pour l'irrigation en raison de la fertilité naturelle de
son sol, de son climat tempéré et de sa situation géographique.
Tous ces éléments font, on le sait, de cette zone un centre de production
de cultures riches : les fruits et les primeurs de ces vallées et en particulier
de Fréjus, sont déjà de renommée mondiale. Plusieurs
projets d'équipement hydraulique furent élaborés par les
techniciens des administrations compétentes. Ils étaient de conception
différente et se trouvaient situés à des emplacements et
sur des cours d'eau différents de cette région du littoral.
Le Conseil
général en fut saisi et leur examen donna lieu à l'époque
à de longues discussions et à de fréquentes controverses.
Finalement, il apparut qu'un arbitrage était indispensable.
L'Administration et les techniciens consultèrent alors les plus hautes
instances ministérielles. Elles étudièrent ces divers projets
et ne tardèrent pas à faire connaître leur décision.
Le projet de barrage sur la Siagnole, affluent de la Siagne élaboré
par les Ponts et Chaussées pour l'alimentation des communes de Saint-Raphaël
et Fréjus et pour l'irrigation de la plaine, fut rejeté par le ministère
de l'Agriculture. Il préféra le projet de barrage établi
sur le Reyran, auquel il donna son accord par décision du 3 août
1950. Le Conseil
général, informé de cette décision ministérielle,
soucieux de réaliser le projet d'équipement hydraulique de l'Est
du département, pour lequel le concours financier du ministère de
l'Agriculture était indispensable, approuva le principe de la création
du Barrage du Reyran. D'autant que le ministère de l'Agriculture promettait
sur ces travaux une subvention globale de 60 % sur l'ensemble du projet (barrage
et travaux d'irrigation agricole). Le ministère de l'Intérieur (ministre
de tutelle des collectivités locales) laissait de son côté
entrevoir la possibilité de subventions pour l'aménagement en eau
potable des villes du littoral.
Il faut ajouter que le projet des Ponts et Chaussées n'était accompagné
d'aucune promesse de subvention immédiate. Cela revêtait une importance
compte tenu de l'urgence des travaux.
Ceci admis, Administration, techniciens, Assemblée départementale
voulurent normalement s'entourer du maximum de garanties.
(1) (1)-
"Malpasset" M. Foucou (1978) pages 2, 4 et 5
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2
- LE REYRAN Joseph
Aubenas, l'un des historiens les plus écouté de Fréjus, le
définit ainsi (1) :
Le Reyran (2) prend sa source au nord de Bagnols, à
six lieues de Fréjus. C'est une rivière torrentueuse, à sec
pendant les trois quarts de l'année; mais qui, à l'époque
des pluies, roule avec une impétuosité extrême un grand volume
d'eau, entraînant en même temps, une quantité considérable
de sable et de cailloux, ramassés dans la gorge de l'Estérel dont
il sort.
Le débit du Reyran se révèle fortement capricieux. Depuis
des siècles, chaque année, ouvrant de nombreuses brèches
dans ses rives, il crée dans la plaine de Fréjus de graves inondations.
Elles portent préjudice à notre agriculture et mettent en danger
la sécurité des habitants de la plaine.
Dompter le Reyran est donc important. La réserve d'eau ainsi créée,
outre qu'elle apportera l'eau indispensable aux populations toujours croissantes
et à nos terres assoiffées, elle préservera, pense-t-on,
nos forêts de l'Estérel contre l'incendie et de ce fait aidera
à la régénération du massif forestier de ce massif.
Le Reyran, enfin dompté, aura son cours définitivement régularisé
et la plaine se trouvera à l'abri des crues soudaines dues aux orages
intempestifs.
Depuis la catastrophe, le Reyran a été définitivement canalisé
dans une immense voie de béton. Le volume du cours nouveau a été,
dit- on, calculé sur la crue maximale du siècle.(3) (1)-
"Histoire de Fréjus " J. Aubenas - 1881 (2)- Reyran : en
provençal signifie Riaio (grand ruisseau, torrent)- Ran (loc. adverbiale
signifiant: à foison) (3)- "Malpasset" M. Foucou (1978) page
6
3
- ÉTUDE,
CONSTRUCTION Le
barrage sera oeuvre du Conseil général du Var. Il est important
au départ de fixer le rôle de cette assemblée élue.
L'Assemblée départementale, selon les textes, n'est qu'une assemblée
délibérante. Elle avait pour mission, après avoir donné
son accord sur le principe, d'assurer le financement sur rapport des techniciens
et du préfet. Les archives attestent que tous les crédits qui
lui ont été demandés ont été votés.
Qu'il s'agisse de crédits d'étude ou de crédits d'exécution.
Toutes les administrations vont collaborer étroitement pour créer
une uvre de vie. Le barrage est devenu en quelques secondes une uvre
de mort, de désolation, de ruines. Qui pourrait, un seul instant, penser
que cela a été voulu ?
Sur la proposition du conseiller général du canton de Fréjus,
M. Foucard [...], le professeur Georges Corroy de la faculté des sciences
de Marseille consulté donne un avis géologique préliminaire
favorable à un projet de création d'un bassin de retenue avec barrage
de la vallée du Reyran à hauteur du pont de la Buème au sein
des gneiss du Tanneron, lieu-dit : Malpasset. Les crédits nécessaires
aux premières études sont alors votés le 31 juillet 1946.
Un premier rapport est déposé le 15 novembre 1946 par le professeur
G. Corroy. Il a étudié les roches au laboratoire des sciences de
Marseille, section de géologie, assisté de Simone Gueirard. Il précise
que le Reyran traverse un synclinal houiller pincé dans les horizons métamorphogiques
du massif de base de l' Estérel.
Ce fond de bateau est très
propice à une retenue, malgré les accidents de détail
qui l'affectent.
Dans un long mémoire imprimé, que le professeur a intitulé
"L'alimentation en eau de la région orientale du département
du Var et le barrage de Malpasset près de Fréjus" [...],
je lis à la page 113 : Malgré
la multiplicité des accidents de détails décrits, affectant
le stéphanien du Reyran, ainsi que son substratum de gneiss, le bassin
de retenue se présente dans d'excellentes conditions géologiques
au point de vue de son étanchéité (1). L'imperméabilité
totale de cette retenue est assurée dans ce fond de bateau aux horizons
détritiques, mais compacts (grès et poudingues) inclus dans un massif
hercynien qui l'enserre de toutes parts. Des pertes ne peuvent pas se produire
ni sur les flancs de la retenue, ni vers l'aval dans la vallée par continuité
des couches. Quant au permien qui apparaît seulement dans le vallon de Bonaude,
il est homogène dans tout le cirque amont en bordure du pic de la Gardiette
(373,4). Malgré son pendage régulier S.W. vers l'aval aucune fuite
d'eau n'est possible au travers des horizons superficiels suivants : grès
plus ou moins fins et pélites, brèches cimentées, conglomérats
compacts. Le colmatage est assuré en profondeur par des éléments
argileux de la série permienne. "
Quant à l'emplacement du barrage et à son implantation, le géologue
conclut [...] : Toutes
ces observations superficielles montrent que la série des gneiss du Reyran
est loin d'être homogène, et que les assises d'un futur barrage en
ce lieu devraient être préparées par des travaux de recherches.
Notons surtout que l'aval pendage des gneiss et la présence des filons
de pegmatite, aux phénocristaux facilement altérables, comme susceptibles
de provoquer des pertes plus ou moins importantes sous l'ouvrage et dans les épaulements
rocheux du barrage.
Le Conseil général eut à approuver des contrats passés
par l'administration préfectorale d'abord, ainsi qu'il est dit plus haut
avec M. le professeur Corroy pour l'étude du terrain. Pour l'étude
de l'avant-projet du barrage, il s'adressa aux éminents spécialistes
du cabinet M. Coyne, président de l'Association internationale des grands
barrages. L'affaire
se déroula selon les règles administratives normales. Une commission
administrative de concours fut désignée. Présidée
par le préfet, composée de tous les techniciens, d'une délégation
du Conseil général et des représentants de l'administration
financière. Elle se réunit à trois reprises pour choisir
l'entreprise qui donnera le maximum de garanties aussi bien sur le plan de
la compétence, de l'expérience, que de la technicité. Le
Génie rural est chargé de la surveillance et du contrôle de
tous les travaux.
Le 15 novembre et 11 mai 1949, le bureau d'études A. Coyne et J. Bellier
est amené à remanier les projets initiaux d'implantation et pose,
en 1950, au géologue, trois questions. (Ce passage est important puisque
plus tard fort discuté.) Y
a-t-il de votre part, objection quelconque : 1.
A déplacer l'ouvrage vers l'aval ? 2. A le surélever jusqu'à
la cote 130 ? 3. La surélévation du plan d'eau jusqu'à
la cote 130 pose-t-elle un problème d'étanchéité
de la cuvette ?
Le géologue répond [...]
1. Non, il est possible de déplacer l'ouvrage de
200 mètres. L'ancrage ne présente a priori pas
plus de difficultés tant sur la rive gauche que sur la rive
droite, beaucoup plus abrupte, mais de pente régulière. Il lui manque
seulement les épaulements rocheux que l'on trouvait dans
le thalweg même sur les rives de l'emplacement primitif.
Les alluvions sont un peu plus épaisses, le bedrock gît
vraisemblablement vers la cote moins 5 au-dessus du lit.
2. Il n'est pas possible de surélever le plan d'eau jusqu'à
la cote 130. La cote 120 sera la cote maxima.
3. L'étanchéité de la cuvette n'est pas menacée
par la surélévation de l'eau.
(2)
(1)- Mis en relief dans le texte original. (2)- " Malpasset"
M. Foucou (1978) pages 8 à 11
4
- ÉTUDES
GÉOLOGIQUES AU COURS DE LA RÉALISATION DE
L'OUVRAGE
Les recherches [...] effectuées dans le lit de la rivière
n'ont donné lieu à aucune surprise quant à la nature du terrain.
Le barrage reposera en tous points sur les gneiss - embrichites à deux
micas déjà décrits... De plus, le roctage a mis en évidence
un nombre extrêmement élevé de cassures, d'amplitudes diverses,
bien que jamais très importantes... Ces petits accidents se présentent
souvent comme des zones d'altération, dans lesquelles prennent naissance
des produits argileux, d'épaisseur variable de quelques millimètres
à quelques centimètres. Lorsque les cassures sont trop voisines,
les blocs qu'elles délimitent tendent à glisser ou à se déliter
sous l'effet d'une pression. Ces zones devront faire l'objet de soins spéciaux.
Rive droite...
Rive gauche (1). - Légèrement en amont du passage d'une ancienne
canalisation romaine, au sein d'une zone altérée par ces anciens
travaux, on remarque un décrochement qui atteint en ce point la base de
la fouille. Cet accident secondaire montre des embrechites massives en contact
avec des embrechites schisteuses, froissées et plus ou moins tourmentées,
dans la coupe de la falaise... c'est ainsi que les formes de la rive gauche ont
conduit à prévoir une culée d'environ 10 mètres de
haut, ce qui permit de tracer une voûte de rayon court 100 mètres
et de réduire sensiblement le cube de la voûte proprement dite. De
plus, pour éviter de prolonger la culée jusqu'à sa rencontre
avec le rocher sain à la cote des plus hautes eaux (102), on a prévu
un mur en aile, sensiblement perpendiculaire aux lignes de niveau. On évite
ainsi à la culée d'être soumise à une sous-pression
qui exigerait de la dimensionner en barrage poids.
Que faut-il penser de cette étude ?
M. le professeur Roubault, dans son livre paru après la catastrophe La
rupture des grands barrages, fait état de :
Une étude géologique
préliminaire du site avait été faite et même bien faite.
Mais à partir de là, la construction de l'ouvrage se déroula,
hélas, sous le signe de l'économie fatale : les travaux de recherche
sur la solidité par sondages et galeries ne furent jamais exécutés.
À cela s'ajoutèrent des directives verbales données sur le
chantier en cours, au simple vue des roches sans études systématiques
de leurs qualités et une absence pratiquement totale de surveillance géologique
pendant le cours de la construction. L'importance pourtant capitale de la qualité
des appuis avait été méconnue.
Ces graves accusations lues, j'ai recherché dans les archives du Conseil
général à quoi pouvait répondre la définition
du mot grave formulé par le professeur Roubault d'économie
Ces économies semblent entacher, aux dires du professeur, la
solidarité de l'ouvrage. Il est important de les fixer.
Je lis, en effet : Séance du Conseil général du 19 mai 1959.
Sur une demande du conseiller général du canton de Lorgues M. E.
Soldani. Le président de l'Assemblée départementale,
le docteur Cauvin répond : Nous
avons eu hier l'assurance, confirmée par M. Quesnel inspecteur général
du ministère de l'Agriculture, que la cuvette du bassin du Reyran est sûre
d'après les géologues. (Souligné dans le texte.)
On avait même prévu la possibilité d'une avance de 27 millions
au département pour commencer les travaux de sondage et d'investissement
dans le barrage, et M. l'inspecteur général Quesnel a estimé
que 8 millions suffiraient parce qu'il est inutile de faire les sondages comme
on les fait habituellement pour ces sortes de barrages.
En effet, on est certain d'avoir un ancrage très sûr. (Souligné
dans le texte.)
D'autre part, la notice imprimée des géologues ne porte aucune mention
d'économies qui leur auraient été imposées voire suggérées,
soit pendant les études préliminaires, soit pendant le déroulement
des travaux.
Le Conseil général a maintes fois précisé, preuves
à l'appui : Tous
les crédits qui lui ont été demandés, ont été
votés, qu'il s'agisse d'études ou de crédits d'exécution."
Alors ?...(2) (1)-
La rive gauche présente pour le lecteur un intérêt certain
puisque l'ouvrage s'est entièrement décroché du rocher à
cet endroit. Le mur de la rive droite étant
parfaitement resté soudé avec le rocher. (2)- " Malpasset"
M. Foucou (1978) pages 11 à 13
5
- LE BARRAGE Le
type de barrage choisi est le barrage voûte. Il est la synthèse d'une
formule audacieuse [...] emplissant de fierté les mathématiciens
: Au lieu d'opposer à la masse des eaux les poids d'une digue inerte,
on lui oppose la forme dynamique d'un arc de béton qui renvoie la forte
pression de l'eau emprisonnée à chacune des rives. Cette forme
de retenue d'eau n'est pas un système moderne. L'ancêtre [...] date
du Xllle siècle. H. Goblot, ingénieur français l'a découvert
en Iran en 1956 à 25 km au sud de la ville de Quom. La voûte en maçonnerie
mesure 26 mètres de haut au-dessus du plan d'eau d'aval. La longueur de
voûte en crête est de 55 mètres. La partie arquée, de
38 mètres de longueur, est encadrée entre la culée poids
de 12 m sur la rive droite et une de 5 m sur la gauche.
Jusqu'à ce jour, les plus anciens connus se situent en Espagne : Almansa
et Elche, ils datent du XVIe siècle. En Italie, celui de Pontalo est né
en 1612.
Principe du barrage en voûte Le tracé en arc de la
voûte fait que la pression de l'eau resserre le mur et que la voûte
transmet aux berges les efforts colossaux qu'elle reçoit. L'avantage immédiat,
c'est que les ingénieurs mettent à profit cette pression plus faible
de la masse de l'eau pour diminuer, dans des proportions devant être parfaitement
étudiées, l'épaisseur du barrage, sans porter atteinte à
la solidité. Il va de soi que ce type d'ouvrage, d'une grande solidité
exige, et cela est capital, que les berges, recevant le gros de la pression soient
d'une robustesse à toute épreuve.
Pourquoi a-t-on choisi ce type de barrage ?
Aucun document d'archives ne me permet de le dire. Certains articles de presse
ont écrit après la catastrophe, que cette forme d'ouvrage avait
été imposée aux maîtres d'uvre, par souci
d'économie. Je n'ai rien trouvé dans ce sens. J'en laisse la responsabilité
aux auteurs des articles.
Le professeur Roubault dans son livre déjà cité écrit
: Sa
forme est parfaitement adaptée au profil extrêmement aigu de la vallée
du Reyran où il devait être implanté. Sur la rive droite,
il était fortement épaulé au rocher dans un rôdent
de la topographie; sur la rive gauche, en revanche, l'absence d'épaulement
susceptible de lui servir de butée avait imposé la construction
d'une culée artificielle, en béton armé d'un poids jugé
suffisant. "
Monsieur Mary [...] complète la description :
Un mur en aile soustrait
la culéeà la poussée directe de l'eau. Son parement amont
est à double courbure. (1)
(1)-
" Malpasset" M. Foucou (1978) pages 15 à 17
6
- CARACTÉRISTIQUES
- Cote du
sol : 43,50 m. - Cote du couronnement : 102 m. - Développement
de crête : 225 m - Hauteur maximum : 59 m - Capacité totale
de la retenue : 49 300 000 m3 se répartissant en : -
eau utilisée : 24 560 000 m3 environ, y compris le volume correspondan
à l'évaporation
qui sera emmagasiné entre les cotes 85 et 98,50 -
volume d'eau morte 22 000 000 m3 environ -
tranche d'écrêtement des crues : 4 000 000 m3. - Longueur de
la culée : 6,50 m. - Hauteur maximale au-dessus du blocage de fondation
à pleine fouille d'environ 11 mètres avec un encastrement
d'environ 6 mètres.
Il y a lieu d'ajouter : a) Le réservoir placé sur le centre
du mur de crête à la cote 100,4 et long de 29,70 m. b) Un tapis
de béton, dit tapis de pied bétonné dont le but est d'éviter
par le déversoir le poids de la chute des eaux passant par le déversoir
et risquant d'amoindrir la résistance du pied du barrage.
- Épaisseur du mur : -
Base : 6,78 m -
Crête :1,50 m. Cette
faible épaisseur en a fait le barrage le plus mince d'Europe. -Prise
d'eau : -
à la cote 79,50 conduisant à une canalisation de 1,25 m de diamètre
- à la
cote 46,25 une conduite de vidangede 1,50 m de diamètre fermée en
amont par
une vanne à glissière 0 et en aval par une vanne papillon.
(1) (1)-
" Malpasset" M. Foucou (1978) pages 17 et 18
7 -
IMPLANTATION DE L'OUVRAGE
Les précautions à prendre, quant au choix d'un emplacement
sûr, ont été définies le 18 décembre 1946 par
M. Dorie, rapporteur général à la Commission de l'hydraulique
du Conseil général :
Un autre projet qui cette
fois se réfère à la région Sud-Est de notre département
vous est aujourd'hui présenté par notre camarade Foucard. Il comporte
essentiellement la création d'un barrage avec bassin de retenue sur le
Reyran, au nord de Fréjus... J'ai spécialement étudié
l'étude géologique pratiquée par le doyen Corroy, de la faculté
des sciences de Marseille. Les conclusions en sont très favorables, tant
en ce qui concerne l'étanchéité de la retenue que le peu
de risque d'alluvionnements. Le seul problème un peu délicat semble
être la détermination exacte de l'emplacement du barrage, à
cause de la présence de nombreux filons de pegmatite, roche poreuse et
facilement altérable. Il
serait nécessaire, dit l'expert, d'imperméabiliser le sol de fondations
et des appuis par des injections en ciment selon un voile normal. C'est là
une pratique courante, et qui n'entraîne pas d'habitude des frais excessifs.
Je ne serais pas complet, si je n'ajoutais qu'au même
endroit, en 1865, les Ponts et Chaussées, si opposés au projet actuel,
en accord avec la mairie de Fréjus et la préfecture de Draguignan,
avaient choisi cet emplacement pour construire un barrage masse à mur en
pierres bâties. La hauteur du mur aurait été de trente mètres,
la capacité du réservoir de neuf millions de mètres cubes.
A ce moment-là, l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées
du département, contrairement à l'avis de son successeur des années
50, écrivait, après que le projet eut été rejeté,
faute d'avoir pu trouver les vingt mille francs nécessaires à
sa réalisation : L'étude...
pourra être utilisée plus tard lorsque le canal de l'Argens aura
été mis à exécution et que le développement
des arrosages aura démontré que son alimentation est insuffisante...
C'est alors qu'il conviendra d'examiner s'il n'y aurait pas avantage à
augmenter la hauteur du barrage, ainsi que le cube de retenue d'eau et d'étudier
le projet définitif des travaux. (Il écrivait cela le 7 août
1865.)
(1) (1)-
" Malpasset" M. Foucou (1978) page 19
8
- CONSTRUCTION DU BARRAGE Le
contrat à passer entre le département du Var et le cabinet A. Coyne
et J. Bellier en vue de régler les conditions d'intervention de ce cabinet
pour l'étude du projet de barrage sur le Reyran ainsi que l'assistance
technique et la réception des ouvrages est présenté par le
préfet à l'Assemblée départementale le 15 novembre
1951. Les travaux
commencent le 1er avril 1952 par les sondages et les forages. Un conduit de ciment
de 1 mètre de diamètre est mis en place sur la rive gauche, afin
de constituer une dérivation provisoire. En même temps, l'on
procède à l'ouverture de la carrière d'approvisionnement
des rochers concassés. Deux usines s'élèvent l'une de concassage,
l'autre de fabrication de béton.
La masse de l'ouvrage est construite en béton de gros agrégats dosé,
en principe, à 300 kg de ciment Portland par mètre cube de béton
en oeuvre. Comme
le gneiss micassé est à proscrire dans le choix des agrégats,
le mica étant l'ennemi de toute construction, il a été choisi
une des rhyolites des coulées permiennes de l'Estérel, dont les
affleurements commencent à apparaître à deux kilomètres
au sud du barrage, non loin des anciennes mines de charbon de Bozon. Il s'agit
de la rhyolite R2, de teinte rose claire et riche en phénocristaux.
Le cube de béton coulé de teinte rose chiffre 47 000 mètres
cubes. Le poids d'acier d'armature étant de 70 tonnes.
M. le professeur Corroy dans son étude géologique de 1956, publiée
en 1957, précise, page 123, répondant par avance à la critique
du professeur Roubault, formulée après la catastrophe, quant à
la surveillance géologique au cours de la construction :
Des forages
au supermarteau ont été exécutés dans le gneiss en
vue d'inspecter la liaison béton-rocher et le bedrock. Ces forages ont
été disposés suivant le tracé du parement amont.
186 ouvriers participent aux travaux. Le rythme journalier du travail tourne autour
de 300 mètres cubes de béton par jour.
Mille petits cubes de ciment prélevés : 8 jours, 28 jours ou 90
jours après leur fabrication sont analysés par les laboratoires
de l'arsenal de Toulon et reconnus de résistance convenable [...]
(1) (1)-
" Malpasset" M. Foucou (1978) page 20
9
- COÛT DE L'OUVRAGE Il
est présenté dans un rapport de M. E. Soldani et figurant dans la
préface du Lac de Malpasset de J.-B. Gaignebet.
Montant total de la dépense en francs anciens : 4 871 000 000 F. Ce
prix comprend la construction du barrage et du réseau total d'adduction
d'eau sur le littoral.
Le barrage et les ouvrages annexes ont coûté : 749 000 000 F.
FINANCEMENT
- Partie agricole : (barrage, canal principal, réseau d'irrigation)
Le département bénéficie d'une subvention du ministère
de l'Agriculture de 60 %. Le complément est assuré par un prêt
du Crédit Agricoleau taux d'intérêt et d'amortissement de
4 %. -Réseau
de distribution d'eau potable : Financement comparable accordé par
les ministères de l'Agriculture de l'Intérieur et de la Reconstruction.
L'effort du Conseil général est considérable, compte tenu
des annuités de remboursement. Elles se monteront à 136 200
000 F pour l'ensemble de la réalisation, en attendant la rentabilisation
par la vente de l'eau.
(1)
(1)-
" Malpasset" M. Foucou (1978) page 21
10
- NAISSANCE DU LAC
La mise en eau commence avec les pluies de l'automne 1954. Il sera
veillé à ce que le barrage ne soit jamais rempli. Il ne le sera
qu'au moment de la catastrophe pour la première fois.
L'on a écrit que le barrage n'avait jamais reçu pendant trois ans
assez d'eau pour remplir son réservoir. C'est faux. La vérité
du non-remplissage doit être cherchée ailleurs. Dans le périmètre
du lac se trouvaient les mines de Spath fluor dites de Garrot dont le P-Dg était
M. P.-S. Herbinger. Cette compagnie a entamé avec l'administration responsable,
un long procès.
En effet, elle argue que la seule route permettant l'évacuation du minerai
a été coupée par les travaux du barrage : -
sans qu'une nouvelle soit construite, - sans
que les expropriations ou indemnisations amiables préalables aient été
faites conformément à
la loi - que toutes les installations industrielles
de la mine vont être noyées par le plan d'eau.
- que
l'installation
de pompage va être détruite, celle-ci devenant inutilisable du fait
même des variations saisonnières
du plan d'eau du barrage. -
que l'exploitation du minerai située en aval pendage du plan d'eau du barrage
(exploitation située entre les cotes
67 et 102) demanderait un délai minimum de trente mois.
La direction de la mine demande que ce délai soit assuré et que
la cote maximum du niveau d'eau
du barrage reste au-dessous de la cote 85.
Pour ne pas envenimer la situation, qui risquerait d'être bien coûteuse,
l'Administration fait en sorte que la cote 85 ne soit pas atteinte, d'où
les lâchures.
Cette politique présente un très grave inconvénient : la
réception définitive de l'ouvrage.
Le 9 février 1955, le préfet du Var, M. Ottavioni, préside
la cérémonie de la réception provisoire au nom de l'autorité
de tutelle. Aucun vice de construction n'est décelé. La réception
définitive aurait dû légalement être prononcée
un an après. La réception provisoire n'avait d'ailleurs porté
que sur les marchés passés les 11 et 25 février 1952 et de
l'avenant du 17 juillet concernant l'exécution de certains travaux supplémentaires.
Certains ouvrages supplémentaires faisant corps avec le barrage, notamment
la culée de la rive gauche, le tapis de protection à l'aval du barrage
avaient été dissociés et leur réception provisoire
remise. Si la
réception définitive des travaux prévus au marché
tardait à être prononcée c'est que le Conseil général
comme l'Administration craignaient, étant donné que la mise en eau
complète n'avait jamais été faite, que des défauts
dans la construction n'apparaissent au moment de la mise en eau totale.
Il semble,
après les explications et les assurances données par M. Coyne qui
doit les confirmer dans un rapport, qu'aucune crainte ne soit techniquement justifiée
en ce qui concerne la solidité de l'ouvrage. Il s'agit bien sûr de
la réception définitive du corps du barrage.
À
ma connaissance, la réception définitive n'a pas été
faite. Pourtant chacun la désirait. En effet, dans l'immédiat, elle
aurait eu l'effet de débloquer le solde de la subvention de l'Etat, soit
17 000 000 F et réduire d'autant les intérêts dus aux entreprises
pour retard dans les paiements. (1) (1)-
" Malpasset" M. Foucou (1978) pages 22 et 23
11
- LE COMMENCEMENT DE LA FIN
Premières alertes André
Ferro, gardien de vanne et enfant du pays s'inquiétait de certaines déformations
de la voûte. Les ingénieurs l'avaient rassuré. Ces mouvements
prouvaient disait-on le comportement élastique et satisfaisant du béton
de la voûte.
En novembre 1957, les travaux de l'autoroute Estérel-Côte d'Azur
déclenchent, à moins de 300 mètres à vol d'oiseau,
des tirs de mines importants. André Ferro faisant sa ronde sur la voûte
ressent sous ses pieds la déflagration. Il provoque un séminaire
comprenant les responsables du Génie rural, surveillant les travaux du
barrage, ceux des Ponts et Chaussées responsables de l'autoroute. Les conclusions
rassurantes formulent que les tirs n'ont aucun inconvénient pour le
barrage (1) et ils reprennent de plus belle...
Pendant les semaines précédant le 2 décembre 1959 fatidique,
des pluies torrentielles (2) ne cessèrent de tomber sur la région
varoise. À la station météorologique de Fréjus-Aviation,
490 mm d'eau furent enregistrés en deux semaines, du 19 novembre au
2 décembre, dont 128 mm pendant les dernières vingt-quatre heures.
Vers la mi-novembre, alors que le niveau de l'eau était à environ
sept mètres sous la crête, des suintements apparurent sur la rive
droite de l'ouvrage. Ils s'accentuèrement rapidement au point de devenir
de véritables sources au fur et à mesure de l'élévation
du niveau qui approchait rapidement du sommet de l'ouvrage. C'était de
fait, le premier remplissage, la phase la plus critique de la vie d'un barrage.
Or, ce remplissage n'a pas été contrôlé.
La situation devenant inquiétante, à la suite d'une conférence
qui se tint sur les lieux mêmes et à laquelle participèrent
les représentants du Génie rural, ceux des Ponts et Chaussées,
ordre fut donné d'ouvrir la vanne de délestage le 2 décembre
à 18 heures (1).
Vers 21 heures 10 minutes, le niveau ayant baissé de quelques centimètres,
le gardien Ferro rentre vers sa maison située à environ 1 500 mètres
en aval du barrage. Il entend des craquements successifs, sent un souffle violent
ouvrant portes et fenêtres. Une grande lueur est visible et l'électricité
s 'éteint. Le barrage s'est rompu en un instant.
Les appareils enregistreurs de l'EDF ont fixé la chronologie du drame :
21 h 13 pour la rupture de la ligne alimentant le transformateur situé
près du barrage et 21 h 34 pour la rupture de la ligne passant à
l'entrée de Fréjus. La vague a donc mis 21 minutes pour semer la
mort dans la vallée du Reyran.
De l'ouvrage éventré jaillit soudain une trombe d'eau qui déferle
avec une violence inouïe en direction de Fréjus, dévastant
tout sur son passage (2).
La force de cette masse liquide était si puissante que, tels de simples
galets, d'énormes blocs de béton, constituant le gros uvre
du barrage et, pour la plupart de la taille d'une petite maison pesant plusieurs
dizaines de tonnes furent roulés sur des centaines de mètres. (1) (1)-
" Malpasset" M. Foucou (1978) pages 24 et 25
12
- Tentatives d'explication de la rupture du barrage de Malpasset
L'opinion publique effarée
apportera des raisons. Les principales sont : -
La minceur du barrage. - Les tirs de mine de
la construction de l'autoroute.
Deux noms de responsable sont prononcés : le promoteur, André Coyne,
le professeur Corroy. L'arrêt définitif rendu par la Cour de Cassation
du 7 décembre 1967est clair: aucune faute, à aucun stade n'a été
commise. Toutes les causes, les noms cités ci-dessus sont donc devenus
des prétendues causes. Y compris les mines.
L'arrêt fera-t-il revenir les Fréjusiens encore traumatisés
sur leur idée première basée sur des présomptions
? Si j'en crois une enquête à laquelle je me suis livrée dans
le pays, j'en doute et pourtant ! Le jugement est prononcé. Un jugement
ne l'est jamais à la légère. Il a bien fallu l'admettre.
La raison officielle de la catastrophe c'est que, à Malpasset, la nature
avait préparé un véritable piège.
Il aura fallu huit ans de travaux sérieux de deux comités d'experts
au plus haut niveau pour se faire une idée approximative de la vérité.
La personnalité, la compétence, la conscience de M. André
Coyne ne sont pas mises en cause. Au contraire, dans son ouvrage : "Barrages
voûtes", Monsieur Mary, président d'honneur du Comité
français des grands barrages le réhabilite sans aucune équivoque.
Les reproches qui apparaissent ne sont pas dirigés vers des personnes,
ils sont d'un autre ordre.
Le phénomène des sous-pressions
L'apparition de sources quelques jours avant le drame, associée aux études
ultérieures sur les propriétés des roches a conduit à
la certitude que l'ouvrage avait subi l'effet très dangereux de sous-pressions.
On appelle sous-pressions, celles dirigées de bas en haut, sous les fondations
du barrage et qui sont le résultat de circulations parasites dans les roches
de la zone d'ancrage des ouvrages.
Ce phénomène, pour rare qu'il soit, est très dangereux. Il
a pour conséquence, un véritable décollement du barrage qui
est soulevé hors de ses assises et irrémédiablement compromis.
Un tel phénomène entraîne inévitablement une modification
de la répartition des poussées aux différents niveaux de
la muraille et en particulier un accroissement considérable des poussées
au niveau supérieur. Or, dans les barrages voûtes, ces niveaux supérieurs
sont toujours les plus minces, donc les plus vulnérables (1).
Les deux poussées se transmettant à la roche par l'intermédiaire
des deux culées. Il se trouve que la culée artificielle de la voûte
de Malpasset construite rive gauche, et calculée pour un taux normal de
charge, ne put résister à un excès de pression. Reculant,
elle provoqua, sous l'ouvrage rive gauche, l'ouverture de fissures béantes
par suite de l'existence de failles jusqu'alors inconnues. À partir de
ce stade, les millions de mètres cubes d'eau retenus en amont allaient
s'engouffrer dans ces fractures, littéralement soulever le barrage, l'emporter.
Le
géologue pouvait-il au cours des travaux de reconnaissance prévoir
la prochaine accumulation des sous-pressions fatales ?
Laissons la parole à M. Mary [...] :
Le site de l'ouvrage était
traversé par une faille, dont la surface est matérialisée
par le plan aval du dièdre (2) rompu. Les différents sondages
exécutés après l'accident ont permis de reconnaître
dans tout le site le prolongement de cette grande surface de discontinuité
qui passait à une dizaine de mètres sous la partie centrale du barrage.
Le remplissage de cette faille varie largement d'épaisseur d'un
point à l'autre (de quelques centimètres à quelques décimètres).
Des ramifications semblent aussi apparaître en contrebas du point le plus
profond de la fondation. Le plan amont du dièdre rompu est formé
de plusieurs surfaces gauches de fracturation en roche, par ailleurs saine et
sans accompagnement de veines caractéristiques telle que la brèche
argileuse de la faille aval. La fissure correspondant à ce "plan
amont" ne présentait aucune particularité qui permit de la
distinguer du grand nombre des autres que l'on aurait pu observer sur des
carottes de sondage et qui constituaient une série de "plans de foliation"
parallèles. Entre ces surfaces, on a pu déceler, après coup,
la présence de films de mylonite de mement minces pouvant caractériser
des cisaillements anciens reconsolidés. Les mylonites de gneiss constituent
donc le terrain de base sur lequel le barrage a été ancré.
Or, à l'époque de la construction, on ignorait que la mylonite était
une roche broyée pouvant donc permettre à l'eau de s'infiltrer.
L'eau la pénétrant aurait aidé à soulever le
barrage. Il aurait été extrêmement difficile au
cours des reconnaissances comportant des sondages, et même des galeries,
de les déceler. On a pu se rendre compte après la rupture, et
seulement après la rupture, que le rocher présente sur ces surfaces
de foliation, une résistance à la traction et au cisaillement plus
faible que dans les autres directions. Cette certitude a été obtenue
par des expériences de laboratoire.
Peut-être pensez-vous comme moi, que toutes ces expériences auraient
dû être réalisées avant l'édification du barrage
? M. Bernaix
dans son livre "Étude géotechnique de la roche de Malpasset",
écrit : Afin
de mieux saisir pourquoi les propriétés particulières de
la perméabilité du gneiss de Malpasset peuvent être considérées
comme le facteur déterminant de la rupture, nous développerons quelques
idées fondamentales sur les méthodes d'approche de l'hydraulique
souterraine d'un barrage et sur l'influence des pressions intersitielles dans
les appuis. Sollicitée par la différence de charge entre l'amont
et l'aval, l'eau s'écoule à travers les fondations du barrage [...].
Les variations de perméabilité en fonction des contraintes appliquées,
exceptionnellement intenses pour les gneiss de Malpasset, ont rendu étanches
la zone des appuis comprimés par la poussée de la voûte. L'écran
ainsi formé s'est comporté comme un véritable barrage souterrain
à l'aval de l'ouvrage qui a pratiquement été soumis à
la pleine charge de la retenue et ce surcroît d'efforts s'est révélé
incompatible avec la bonne tenue de l'appui.
Une dernière réflexion :
La qualité de ce gneiss que chacun a qualifié d'hétérogène
devait-il recueillir la confiance des géologues et réalisateurs
? M. le doyen
Corroy, géologue du barrage écrit à ce sujet...
Le nombre
extrêmement élevé des cassures pouvant amener des blocs à
glisser ou à se déliter ne sont causes de pertes plus ou moins importantes
sous le barrage ou dans les épaulements rocheux. Aussi, un sondage a-t-il
été poussé dans le substratum, à 19,30 m au sein d'une
roche homogène, des injections de ciment ont colmaté les fissures
et des précautions particulières ont-elles été prises
sur la rive orientale : voûte de rayon plus court et mur en aile.
Le rocher, ajoute M. Bernaix,
quoique médiocre, était cependant capable de supporter les pressions
imposées par l'ouvrage. Une étude très détaillée
du matériau rocheux a permis de constater en lame mince, une extrême
fissuration, cependant, la considération des valeurs moyennes de divers
essais mécaniques n' a pas permis de mettre en évidence une faiblesse
intrinsèque de la roche. Par exemple, la valeur moyenne des essais de compression
simple correspondait au moins à la résistance d'un béton
courant. La seule particularité de cette roche qui ait été
notée a donc été l'intensité assez exceptionnelle
de sa fissuration, sans que l'on puisse aboutir à une compréhension
du mécanisme de la rupture."
Une étude systématique des qualités du gneiss de Malpasset
a été entreprise au Laboratoire de mécanique des solides
du professeur J. Mandel à l' École polytechnique en essayant de
dégager des concepts sommaires qui n'avaient pas permis de mettre en évidence,
à petite échelle, les particularités du comportement de cette
roche, cause de la rupture du barrage : Les
premiers essais mécaniques nous ont rapidement montré qu'il était
très délicat, et même illusoire de vouloir chiffrer la résistance
du gneiss de Malpasset. Nous avons en effet, pu constater que des données
aussi simples que la résistance à la compression de la roche de
Malpasset n'ont aucun sens physique ; on observe des résultats qui peuvent
être très différents, parfois dans le rapport de 1 à
10, sur des échantillons relevés côte à côte
sur le site. De tels écarts enlèvent évidemment toute représentativité
à la moyenne arithmétique des résultats, qu'on est généralement
tenté d'utiliser pour caractériser la résistance.
(3) (1)-
Largeur du mur de la voûte : base : 6,91 m. - sommet : 1,50 m. (2)-
On appelle le dièdre, la forme du contour de la cassure de la rive gauche.
(3)- " Malpasset" M. Foucou (1978) pages 26 à 32
13
- BILAN D'UNE CATASTROPHE -
423 morts, répartis en :
27 non identifiés, 135 enfants de moins de quinze ans, 15 enfants
de 15 à 21 ans, 134 adultes hommes, 112 adultes femmes.
- 79 orphelins.
- 951 immeubles touchés, dont 155 entièrement détruits.
EVALUATION DES DOMMAGES
Terres cultivées :
La surface des terres cultivées endommagées, portant principalement
de la vigne et du pêcher, est estimée à 3.200 hectares, dont
700 hectares sont irrécupérables par suite du décapage
de la totalité de la terre végétale, et 900 hectares doivent
faire l'objet de travaux importants pour une remise en culture.
Dégats aux bâtiments de ferme et d'exploitation :
Dans la zone correspondant aux 3.200 hectares ravagés par la violence des
eaux, il est estimé que les sinistres aux bâtiments de ferme et d'exploitation
se répartissent comme suit :
a) Fermes habitées en permanence comportant logement du propriétaire,
des ouvriers et bâtiments d'exploitation : -
30 complétement détruites, - 50 détruites à 50%
b) Bâtiments d'exploitation avec logement pour séjour du propriétaire
ou des ouvriers pendant les travaux saisonniers : -
60 complétement détruits - 45 sinistrés à 50%
Dégats aux biens meubles
Matériel de culture (tracteurs, motoculteurs, pulvérisateurs, poudreuses,
instruments de culture, calibreuses et divers) La perte est importante. Chaque
ferme, très mécanisée dans cette région possédait
un matériel couteux. La quasi-totalité de ce matériel est
perdu. On peut l'estimer à 750 millions.
Cheptel vif
Le cheptel de trait est peu important. Les exploitations de la région étant
très mécanisées. Il est cependant certain que 15 à
20 chevaux ont disparu. En outre, la totalité des animaux de basse-cour
et plus de 1.000 moutons ont été noyés.
La perte peut être évaluée à 25 millions.
(Rapport de la Commission de l'Assemblée nationale. Séance du 17.12.59)
(1) (1)-
" Malpasset" M. Foucou (1978) pages 26 à 32 ICONE
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